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Mort et résurrection à la Cathédrale

 

Personnage central de La déposition de croix
Larron à terre
Larron en croix
"Les grands prêtres et les anciens du peuple (…)
se concertèrent en vue d'arrêter Jésus
par ruse pour être crucifié" Mt 26/3

"Le sanhédrin répondit :
Il mérite la mort…" Mt 26/66

"Pilate livra Jésus pour être crucifié." Mt 27/26

"Jésus poussant de nouveau un grand cri,
rendit l'esprit." Mt 27/50

Voilà en quelques mots la fin de la vie d'un homme, l'assassinat d'un innocent programmé par la collusion des pouvoirs civils, politiques et religieux de son temps. Un supplice des plus effroyables du dire de ceux qui ont étudié la question. Une mort lente par auto asphyxie jusqu'à ce qu'on daigne y mettre un terme en brisant les jambes du supplicié, arc-bouté de tout son corps tétanisé, en quête d'une dernière goulée d'air frais. La mort dans toute son horreur, son absurdité.

Jésus avait pourtant préparé ses disciples à ce dénouement et déjà semé en eux l'espérance de la résurrection. Mais paradoxalement ce sont ses ennemis qui l'ont pris au sérieux et qui demandèrent une garde à Pilate pour empêcher un enlèvement de corps en forme de résurrection ! Sur le chemin d'Emmaüs, les deux compagnons acceptent la mort dans l'âme, l'inéluctable de la mort de Jésus : "Voilà deux jours que ces choses se sont passées. Des anges le déclarent vivants. Mais lui, ils ne l'ont pas vu !"

Il faudra deux jours et deux nuits de souffrances, de cris, de tortures, de mort puis de silence avant que ne perce l'aurore de Pâques. Vingt siècles après, chrétiens de vieille souche, de tradition, nous avons du mal à affronter le mal, les blessures de toutes sortes cruellement d'actualité dans un monde mortifère et nous avons souvent la résurrection facile et l'Alléluia rapide. Nous étions pourtant prévenus :

"Des multitudes avaient été épouvantées à sa vue, tant son aspect était défiguré.
Il n'avait plus d'apparence humaine."

"Sans forme et sans beauté, sans rien qui plaise à l'oeil, objet de mépris et rebut de l'humanité, homme de douleurs
et tourmenté, comme ceux devant qui on se voile la face,
il était méprisé et déconsidéré." Is. 53

"On a fait de moi une horreur pour mes compagnons.
Ma compagnie c'est la ténèbre." Ps. 88

En point d'orgue à tout cela, entendons le pèlerin d'Emmaüs murmurer à nos coeurs incrédules :
"Ne fallait-il pas que le Christ endurât ces souffrances
pour entrer dans sa gloire ?" Lc 24/26

Depuis début mars, le choeur de la cathédrale accueille un ensemble de sculptures bois-acier signées Christian ODDOUX de LUGNY près de Tournus en Saône-et-Loire. L'oeuvre figure le calvaire avec trois croix monumentales tandis qu'en arrière fond, six moines pleurants, capuchon et scapulaire voilant leur visage, veillent en une douloureuse mais sereine méditation autour de la couronne d'épines.

Au fond de l'abside de la nef de droite, un groupe monumental en séquoia : Jean l'Apôtre bien-aimé, soutenant Marie, la Mère des sept douleurs au coeur transpercé comme l'avait annoncé le vieillard Syméon.

Une oeuvre magistrale, violente qui s'est imposée à l'artiste, témoin privilégié de la souffrance, des angoisses, des drames, des impasses et des pensées de mort de ses contemporains. Les premiers visiteurs ne s'y trompent pas qui dénoncent pour certains une expression "horrible", "effrayante", "immonde", "violente", "presque insoutenable"
.
Ceux-là dénient à l'église, le droit d'asile ouvert à l'infinie détresse de l'humanité. Ceux-là oublient la parole de Paul :

"Je complète en ma chair ce qui manque aux épreuves
du Christ pour son Corps qui est l'Eglise." Col 1/24

Ceux-là méconnaissent la parole du Prophète :
"C'était nos souffrances qu'il supportait
et nos douleurs dont il était accablé. Et nous
qui l'estimions châtié, frappé par Dieu et humilié.
Il a été transpercé à cause de nos crimes… Par ses plaies nous sommes guéris." Is. 53

D'autres passants, grâce à Dieu, reconnaissent en celui-ci l'agneau de Dieu qui se charge de nos péchés pour nous en délivrer et ils compatissent à la douleur du serviteur qui ne s'éteindra qu'à la fin des temps :
"Vous tous qui passez par le chemin, regardez et voyez
s'il est une douleur pareille à la douleur qui me tourmente." Lm 1/12

A cette plainte pathétique, quelqu'un répond : "Merci d'exposer la souffrance du monde avec tant d'intensité et de violence". Et presqu'aussitôt, neuf enfants signent ce mot de l'un d'entre eux : "Nous sommes en classe de 5/1 et nous sommes éblouis par la Beauté de cette cathédrale."

Paradoxe de l'innocence, de la jeunesse et de la foi, la souffrance assumée par Dieu porte en elle les germes de la résurrection et de la vie. A la Veillée pascale, le célébrant implante dans le cierge cinq grains d'encens qu'il dispose en forme de croix en disant : "Par ses saintes plaies, ses plaies glorieuses, que le Christ Seigneur nous garde et nous protège." A Thomas, Jésus montre les stigmates de la crucifixion et du coup de lance. Le Ressuscité restera à jamais le Crucifié transfiguré dans la lumière de Pâques par l'amour du Père entre les mains duquel le fils a rendu l'esprit. C'est l'homme des douleurs que Dieu, en le ressuscitant, institue premier-né de la nouvelle création.

Au Golgotha de la cathédrale, -si l'on se place sous le grand orgue- chaque personnage voulu ainsi par l'artiste, remplit son rôle. Au centre, une puissante et froide machinerie descend avec une infinie tendresse le corps encore chaud en bois rose de cerisier, foetus encore palpitant, dans le tombeau de l'autel qui s'ouvre pour la première fois.

A droite, le larron appelé pour l'éternité "le mauvais larron" gît, pantin désarticulé encore accroché à sa croix fracassée au sol. Prisonnier de ses injures et de son mépris, il retourne au néant.

A gauche, voici "le bon larron" bientôt libéré de ses prothèses d'acier, brisées sous les coups des soldats romains. Son puissant torse en bois de noyer, tout bombé de vie, ébauche déjà la prodigieuse et fulgurante ascension qui va l'introduire dans la gloire de Dieu.

"Aujourd'hui, tu seras avec moi dans le paradis." Lc 23/43
"Tout est accompli." Jn 19/30

Tandis que Dieu achève son humaine et ultime immersion en pleine terre, l'homme glorifié retrouve enfin la source qu'il n'aurait jamais dû quitter.

Mais "bienheureuse faute qui nous valut un tel Sauveur" chante la liturgie de la nuit de Pâques. C'est encore la même liturgie qui bientôt parachèvera ce calvaire en l'illuminant du feu pascal
.

Père Yves Bachelet
Curé-Doyen d'Autun